Installez vous confortablement ! Ici Ly à l’ouvrage, et nous nous rendons aujourd’hui au Japon, à l’époque Muromachi. Nous n’allons pas parler des conflits internes et guerres civiles qui ont eu lieu dans ce XIVème siècle mouvementé, ni du shōgunat Ashikaga (enfin presque) mais d’arts dramatiques appelés nō. Plus précisément de sarugaku. Et c’est au travers l’histoire du personnage de Zeami, que nous allons en savoir plus sur cet art.
La première question qu’on pourrait commencer par me poser c’est qu’est-ce que le sarugaku ? Pour y répondre je ne peux pas m’empêcher que de parler de l’histoire de cet art. Je vais la faire courte, promis !
Le sarugaku est un art théâtral de l’Antiquité et veut dire littéralement « musique de singe ». C’est originaire de Chine et cela s’appellerait aussi le sangaku. Il est introduit au Japon à partir du VIIIème siècle et devient populaire, en premier lieu, dans les campagnes à partir du XIème siècle. Dans la plupart des recueils mythologiques on lui donne même une origine divine. Dans l’œuvre de Narumi Shigematsu, on précise pourtant que cet art n’est toujours pas « légitime », et est connoté de manière péjorative en utilisant les mots « singeries », « gesticulations » ou encore « macaques » pour mentionner les personnes qui le pratique. Tout au long du récit, Oniyasha tentera par tous les moyens de faire reconnaître cette discipline comme un art à part entière, et de toucher son public.
Le sarugaku est un art et certains d’entre nous sont même prêts à reconnaître sa valeur.
Oniyasha – À nos fleurs éternelles
Le sarugaku est donc un « art nouveau », considéré comme laid à cause des mimiques et des thèmes qu’on lui associe à la parodie et la pitrerie. Vous vous demandez certainement quel art on lui préfère ? Réponse : ce qui est joué à l’époque Muromachi et ce que le bakufu (gouvernement shogunal militaire) aime à voir, et promeut depuis l’époque Kamakura (précédent celle de Muromachi) c’est le dengaku. Il est aussi un art de l’Antiquité et joué principalement pour divertir les paysans de leur labeur, il est destiné surtout à la divinité des rizières pour s’assurer de bonnes récoltes. On y chante, danse et joue de la flûte et du tambour en accompagnement. À l’époque Kamakura on lui ajoute une connotation dramatique et sera ainsi appelé dengaku no nō.
Qui est Zeami, vous me demanderez peut-être aussi ? Et bien, à cela je réponds tout d’abord que c’est un personnage qui a réellement existé. Son métier était acteur. Il est utile de préciser qu’il est une figure importante de cet art. Dans ce two shots, l’auteure nous narre, réinterprète son histoire et son ascension. Celle d’un fils de roturier qui connait bientôt un succès vif. Il s’appelle en premier lieu Oniyasha, puis on lui attribuera d’autres noms au fur et à mesure de son évolution. Dès le début de l’histoire, c’est un jeune garçon de 13 ans, et il fait partie de la troupe de théâtre dirigée par son père. Il a du talent mais a encore du mal à se faire un nom à cause de la mauvaise réputation du sarugaku.
Mais la peine d’Oniyasha se transforme bientôt en espoir lorsqu’il fait la rencontre de celui qu’il appelle « seigneur Tengu », qui n’est autre que le jeune shōgun Yoshimitsu Ashikaga. Ce dernier l’aperçoit, sur la branche d’un arbre en fleur, entrain de danser. Croyant y voir une nymphe, et ému par la « beauté » de ses mouvements, il fut surpris de constater qu’il ne s’agissait que d’un jeune garçon. Il vit en lui la possibilité d’obtenir ce qu’il désire. Et Oniyasha à son tour touché par ses compliments, cherchera constamment à captiver son regard. Il le voit comme la seule personne qui a su lui donner cet espoir et reconnaître son talent.
C’est en la présence de Yoshimitsu qu’Oniyasha suscitera joie, parfois jalousie, à chaque rencontre qu’il fera sur scène comme à la Cour, en tant que mignon du shōgun. Tout le monde à la Cour est surpris de voir débarquer un « garçon des rues » qui en plus n’est pas lettré et on se moque de ces « gesticulations » qu’il veut faire passer pour art. Sa vie à la Cour ne sera pas facile, au départ, mais Yoshimitsu ne le laisse pas tomber. Perfectionniste, il fini par comprendre qu’il a besoin d’un allié de taille afin de lui donner ce qu’il veut : la poésie.
Émouvoir sensiblement les êtres voilà l’essence même du beau!
Yoshimoto Nijō (Haut dignitaire, théoricien de la poésie et auteur de renga) – A nos fleurs éternelles
Je ne vais pas résister à l’envie de faire un rappel historique. Parce que c’est intimement lié et que la majorité des personnages dont on fait mention ont réellement existé ! Mais avant d’attaquer le vif de ce sujet, un bref point sur l’objet en lui-même !
À nos fleurs éternelles et un manga qui se fini en deux tomes (two shots). C’est publié au sein des merveilleuses éditions Akata, auxquelles je vous invite vivement à consulter leur catalogue de publications. Cette œuvre est qualifiée de Josei, un genre qui aborde des thématiques « adultes » et est le qualificatif féminin de Seinen. Vous vous demanderez peut-être pourquoi ce titre ? Et bien, vous apprendrez sans doute, en le lisant, tout simplement qu’on y fait sans cesse mention de fleurs. Chacune à sa signification et sa symbolique. Au fur et à mesure qu’Oniyasha grandit une fleur lui sera associé. Il en porte d’ailleurs à chacune de ses représentations. Synonyme de sa jeunesse, de la « beauté », on y fait également mention de l’Ikebana, qui vient là aussi de Chine, (art de créer des compositions florales), celui de « faire vivre les fleurs » et est censé ouvrir le cœur et l’esprit à la vie. C’est un art élégant raffiné et surtout naturel où on y recherche le beau.
Je vous disais tout à l’heure que je voulais faire un petit rappel historique et je comprends au fur et à mesure que j’écris que c’est nécessaire.
Dans cette œuvre nous sommes à l’époque Muromachi et le jeune Yoshimitsu à la tête du gouvernement du Nord basé à Kyoto, désire une chose qu’il peut donc obtenir grâce à Oniyasha. Ces deux choses sont liées. En donnant sa légitimité au sarugaku, il voit en cet art novateur un moyen rendre légitime sa place à lui aussi au sein d’un pays divisé et qui se façonne…
Sous cet arbre à Imakumano, vous m’avez porté aux nues, vous m’avez enseigné la poésie, vous avez veillé sur moi, vous avez fondé en moi de grands espoirs tout cela dans le but de servir vos intérêts politiques ?
Fujiwaka (« tendre glycine« , Oniyasha) – À nos fleurs éternelles
Vous aurez deviné qu’à l’époque Muromachi il est question d’instabilité politique. L’œuvre nous situe au départ en 1374, et nous met bientôt au courant que le pays est scindé en deux. Le pouvoir est donc disputé entre deux Cours impériales, celle du Nord (du Shōgunat Ashikaga basé à Kyoto) et du Sud. Pour comprendre pourquoi ce schisme, il est utile de revenir brièvement en arrière.
Avant l’arrivée des Ashikaga, le Shōgunat était celui des Kamakura, et le pays était déjà ravagé par des guerres civiles, notamment à cause d’un conflit entre l’empereur Go Daigo (96ème empereur) et le Bakufu Kamakura. Un complot avait été mis en place afin de faire basculer ce dernier, et l’empereur lui-même en serait l’instigateur. Le complot fut découvert quelques années après (en 1324), l’huile est déjà sur le feu… Les proches de l’empereur (des clans guerriers) qui ont participés à cette manigance sont attaqués voire arrêtés, tués d’autres jugés et certains exilés par le Shōgunat Kamakura. Ça ne s’arrête évidemment pas là puisque qu’un autre complot prit place en 1331, causant à nouveau la mort des responsables. Ces actions ne calment en rien la situation et la guerre civile concerne maintenant tout le pays ; et ce tant qu’il existe des proches de l’empereur Go Daigo et des insatisfaits du Bakufu Kamakura. Au final, le Shōgunat Kamakura fut anéanti. Ce régime ayant pris fin, l’empereur, qui s’était réfugié pour échapper à la guerre, retourna à Kyoto et un nouveau régime fut instauré. Ce dernier est constitué à la fois de nobles et de guerriers. Nous sommes dans la courte ère Kenmu. Et, évidemment, ce serait trop beau de se dire que ces deux classes qui sont censées gouverner ensemble s’entendaient… Les conflits de pouvoir reprennent et, en 1336, une révolte contre le gouvernement impérial est déclenchée. Et devinez qui en fait partie ? Le fameux clan Ashikaga, tout juste ! Et en tête de ligne à ce qu’il paraît. L’empereur tenta de sauver sa peau à nouveau, laissant ses partisans chasser les Ashikaga, mais c’est l’empereur qui finit chassé de Kyoto. Takauji Ashikaga, profita de la place libre pour placer sur le trône un nouvel empereur. Nous avons maintenant deux empereurs régnants, l’un à la Cour du Nord et l’autre au Sud (à Yoshino), d’où le nom de la période des Cour du Nord et du Sud. Sans trop développer là dessus, nous savons tous.tes qu’après l’époque Muromachi, vient évidemment, la célèbre Sengoku, appelée en référence à la période des « Royaumes combattants » sous l’Antiquité en Chine, et veut littéralement dire « pays en guerre ». Elle est la continuation de ce qui a été entamé à l’époque Muromachi, une période d’anarchie ou les classes sociales les plus modestes, et différents clans seigneuriaux veulent acquérir autonomie et émancipation, mais cette fois avec bien plus d’engouement et de violence.
Vous savez maintenant tous.tes que lorsque le tout jeune Yoshimitsu Ashikaga (3eme shōgun du clan) prend les rênes du Shōgunat en 1368, il doit faire face aux offensives de la Cour du Sud et montrer qu’il mérite sa place de Shōgun à celle.ux qui l’observe. Et vous l’avez aussi constaté, cette époque n’est évidemment pas seulement une période de conflits, mais aussi du développement des arts (dramatiques). Et, quoi de mieux que l’Art pour apaiser le cœur des guerriers, fatigués d’aller en guerre sans savoir s’ils vont revenir vivants ? C’est sans doute le résultat que voulait le Yoshimitsu de l’histoire : émouvoir. Et Zeami le prouve à qui veut le regarder et l’entendre.
Je vais conclure car je crois en avoir assez dis. J’aurais beau vous dire que c’est une lecture qui m’a été agréable, que la relation et confiance qui s’est nouée petit à petit entre Oniyasha et Yoshimitsu m’a touché.e, que j’y ai appris bien des choses de l’époque et de cet art.. Bref, que c’est une belle découverte! L’important c’est que vous puissiez avoir votre propre opinion, d’autant que je me suis bien retenu.e d’aborder un sujet qui parait central dans le tome 2, qui est en lien avec la recherche de la Beauté et auquel Oniyasha va être confronté et ne peut (mal)heureusement pas y échapper!
Ah ! Avant de boucler la boucle, si vous l’avez lu ou si vous vous sentez de le lire, n’hésitez pas à donner votre avis, notamment à propos de comment se termine l’œuvre. Je dois avouer que j’en ai été un peu surpris.e. Bien qu’elle soit satisfaisante au vu de ce que réserve l’avenir à Yoshimitsu et à Zeami qui a l’air bien triste.
Merci de m’avoir lu.e et au plaisir de vous écrire !
Bonne lecture
Ly~